Passé le hangar agricole en tôles ondulées, le carré de lumière s’ouvre. Cette place des fêtes déplacée dans une non-place est l’idée d’un « aventurier casanier », agronome et fils d’agriculteur, attaché à son pays mais qui enfant déjà voulait mettre le nez dehors. Ses vies multiples il les case en une seule, telle une jolie poupée russe.
Au cœur, la terre natale du Gâtinais, plate, contrée un peu paumée aux pieds de Paris, on en sort presque transparent. Sauf pour les malteurs, dîtes « Gâtinais » et leur œil frise, l’orge de brasserie de cette région est une des meilleures au monde, les Japonais l’exigent. Au centre du cœur, dans le village maternel, une déesse gallo-romaine guérisseuse et sa source sacrée gîtent, non dans le marais mystérieux, mais dans un creux de la plaine.
Autour, l’orge de brasserie, suivie de A à Z. Chez Chevalier Martin, malteur, Gilles Fouquin découvre, écoute, rencontre, et bout à bout trouve la solution du fractionnement de l’azote, comme on mise au poker, pour une meilleure qualité de l’orge, point faible dans les années 90. Puis à l’assaut des terres noires, il expertise les terroirs jusqu’au Kazakhstan pour la cause du groupe Soufflet, leader mondial du malt. Le choc esthétique de l’Est, composé d’interprètes, top models au chemisier usé, et de patrons ossètes, souriants mais avec la bosse du flingue sous la veste, envoi poudre et poussière aux yeux. Ça pique ! Et le week-end, Gilles Fouquin retourne ses terres avec un chronomètre dans la tête, et son fils aîné sur les genoux veut rentrer à la maison dès le premier rang.
En 2015, il a cinquante ans, les paupières en pente, la carrière au sommet, Directeur général de Secobra1, la dernière poupée russe est sa déesse. Sans barguigner, il lui fait traverser la plaine et la loge en lisière des bois du marais, dans la cour d’une ferme de famille, où enfant il foulait les raisins avec ses cousines. No business plan, l’air de rien, avec comme refrain : « Au pire j’ai la ferme », il s’est lancé dans la micro-brasserie et dans le pub, avec à ses côtés son fils aîné et Sébastien, ami de longue date, petit-fils d’une grand-mère gérant un café dans le Beaujolais. Un peu surpris qu’ils possèdent sous la main la Sainte Trinité : structures, matières premières et savoir-faire. « M’enfin ! » se serait dit Gaston. Mais ce n’est pas une gaffe. La ferme brasserie actionne le double mouvement de l’attachement au pays et du sens du terroir, de la filiation et de l’amitié.
On ne louera jamais assez la poupée russe du Gâtinais qui fabrik une déesse pour le bien de tous.
« La Fabrik du marais » - Bière « La Déesse du Marais »
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1 Entité de recherche, créée en 1902 par le syndicat des brasseurs et des malteurs pour s’assurer des orges de qualité.